Ô solitude !

 
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N’avez-vous jamais ressenti à un moment donné de votre existence une période intense d’âpre solitude ? Celle qui vous met en dehors du coup et de tout, celle qui vous donne l’impression d’avoir franchi la frontière d’un autre monde, dont l’unique pensée vous venant à l’esprit est : "Mais qu’est-ce que je fais ici ?"

Ce sentiment de ne pas vous trouver à la bonne place, au bon endroit, au bon moment ou d’être là sans y être ; invisible. Cet instant où vous vous demandez si peut-être, par hasard, vous ne vous êtes pas trompé de lieu ou si vous ne vivez pas dans une autre dimension et où vous avez la perception de perdre tous vos repères, d’être isolé de tout.

Cette durée qui vous paraît interminable durant laquelle le temps vous semble avancer au ralenti, se distendre, se déformer, se figer même parfois et durant laquelle vous errez telle une âme en peine en priant pour que ce temps reprenne son cours. Où là, "la notion de relativité" de Galilée à Albert Einstein prend toute sa valeur !

Cet instant où plus rien ne s’imprime dans votre cerveau comme si les informations qu’il devait assimiler s’effaçaient avant même d’avoir d'être transmises ; la connexion entre vos neurones subitement s’interrompt, vous ne comprenez rien, mais absolument rien à ce qui se passe ; ni la situation ni les discours.

Une situation qui vous paraît si abracadabrante, et dans laquelle vous vous retrouvez malgré vous, que même dans votre rêve ou votre cauchemar le plus fou vous ne l’auriez imaginée. Vous avez la sensation d’être complètement à l’ouest, au top départ prêt à intégrer le pavillon des dingos, dans le néant le plus absolu, le vide sidéral, la traversée du désert de Gobi ou de la mer noire en solitaire.

Des évènements insignifiants qui s’accumulent les uns aux autres, faisant perdre à la maîtrise tout son sens, qui vous emmènent dans une sorte de tourbillon infernal, sous des flots d’une telle force qu’ils vous entraînent dans la profondeur des abysses. Où doucement, mais sûrement, vous prenez conscience que "la théorie du chaos" n’est pas que simple théorie !

Des circonstances sur lesquelles vous n’avez nullement le contrôle, et peut-être ne l’auriez jamais eu, mais que vous êtes contraint de subir sans possibilité de vous enfuir par la porte : "EXIT" ; ces quatre petites lettres rouges et vives ou vertes et fluorescentes qui attirent irrésistiblement votre regard, devenant même obsessionnelles, au point de ne voir rien d’autre qu’elles. Où tel dans l’attente d’un miracle, de l’apparition d’un sauveur qui viendrait sans vous soucier d’où, vous espérez que quelque chose de magique arrive vite par cette porte afin de vous libérer des affres de l’angoisse, de cette sensation de profond malaise ; un signe divin, providentiel, qui pourrait mettre un terme à votre calvaire. Ou tout simplement, vous désirez avec hâte être au lendemain et vous dire que rien ne s’est passé, que ce n’était qu’un mauvais rêve.

Or, à cela, se mêlent des discours fantasmagoriques que vous ne saisissez pas davantage, malgré l’emploi du langage usuel. Les paroles se succèdent les unes après les autres sans évoquer une once de logique dans votre esprit. Vous écoutez, entendez, vous concentrez au mieux du possible sur les propos dits, mais rien n’y fait, rien de rien, vous ne percutez absolument rien du tout ! Les mots vous semblent parfaitement incohérents, vous ne captez rien à ce qui se dit ; vous n’êtes ni en phase avec vos interlocuteurs et peut-être même ni en phase avec vous-même. La discussion qui a lieu vous passe à des millions de kilomètres au-dessus de la tête, où là, vous vous interrogez sur ce qui aurait bien pu vous arriver ; si vous avez un peu trop abusé des coupes de champagne ou si un individu mal attentionné vous a versé clandestinement une substance bizarre dans votre verre ou si le niveau de la conversation est éventuellement trop élevé pour votre petite cervelle.

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Alors, vous vous obligez à paraître afin de ne pas trop ressembler à une nouille. Vous simulez un semblant de discernement avec votre plus éclatant des sourires, à rivaliser avec la lumière éblouissante d’un projecteur de cinéma. Vous adoptez le système des hochements de tête, de gauche à droite, de bas en haut, le visage sérieux avec le regard perçant qui signifient : "Je vous ai compris !"

Vous riez lorsque les autres rient, vous vous donnez un air savant lorsque les autres le font, mais principalement, vous excellez dans l’art du camouflage expressif en mimant en toute discrétion les expressions physiques des autres ou en exprimant ce que les autres veulent que vous exprimiez.

En aucun cas, évidemment, vous n’argumentez sur le dire, étant donné que vous comprenez rien. Par fierté bien ou mal placée, vous n’avouez votre sentiment d’abandon, d’incompréhension la plus totale, non seulement par crainte d’être confondu avec la cruche du bourg, mais aussi parce qu’il vous semble en votre for intérieur que certains seraient peut-être autant perdus que vous. Et dès l’instant où il vous est demandé un avis sur la question, vous trouvez une parade du genre : "Veuillez me pardonner, auriez-vous l’amabilité de bien vouloir m’indiquer les commodités, s’il vous plaît ?" Suite à quoi, vous vous éclipsez avec un naturel déconcertant, même vous en êtes déconcerté.

Afin de ne pas éveiller un moindre soupçon, vous vous empressez de déceler rapidement les toilettes. Arrivée à bon port, vous soufflez de soulagement, avec toutefois la gorge serrée et les boyaux noués. Vous scrutant dans le miroir, vous placez vos paumes sur le rebord du lavabo et le regard bien fixe sur le reflet de vous-même, vous marmonnez à voix basse : "Seigneur, qu’ai-je bien donc pu vous faire pour mériter ça !" Vous reprenez une forte aspiration ou inspiration ; ce qui ne représente guère de différence à cet instant, puisque vous manquez cruellement des deux, et dans votre tête, autre la phrase classique : "Si j’avais su, je ne serais pas venu", vous vous dîtes : "Allez ! Courage ! Vas-y Xena ! Fonce !"

Dans votre esprit, revêtue de votre armure, l'arme à la main, pochette lustrée en cuir, le masque du soldat inconnu sur le visage, l’âme guerrière en vous, vous quittez ce lieu de ressource, arborez de nouveau votre plus grand sourire et rejoignez cette soirée aux couleurs de l’incompréhension.

Vous regagnez l’arène, tel un chrétien préparé à se faire dévorer par les lions, plutôt un gladiateur devant combattre son ennemi juré, et vous attendez, là, planté tel un garde royal anglais près des portes de Buckingham Palace, la suite des évènements…

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