Kung-Fu Cramé !


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Un rendez-vous galant... en fait... un rendez-vous, tout court, m'a invitée récemment au restaurant... Comme toute femme qui se respecte, j'ai donc mis deux bonnes heures à me préparer. A l'heure dite, j'attends mon rendez, qui, à l'accoutumée, arrive en retard. J'ai l'habitude me dis-je ; ce n'est pas le premier, ce ne sera pas le dernier, puisque, de toute façon, je n'ai jamais rencontré de ma vie un seul homme qui a été fichu d'être à l'heure !

Nous allons donc de ce pas prendre un verre dans un café, puis il m’invite à le suivre au restaurant. Je suis sur une grande place, autour de laquelle, je remarque des beaux petits restaurants. Chouette ! Je vais me régaler !

Et nous stoppons devant une immense façade, sur le fronton de laquelle, perchées tout en hauteur, trois immenses lettres en majuscules, lettres d’une marque de chaîne de restauration rapide connue. En une fraction de seconde, je pense qu’il plaisante. Je me retourne vers lui avec un sourire complètement stupide et là, le regardant droit dans les yeux, je comprends de suite que ce n’est pas une blague. Il me propose ensuite d’entrer, et à pas lent, très, mais vraiment très lent, j’avance à reculons en regardant tristement les devantures des vrais restaurants qui m’envoient leurs signaux : "Viens… Viens… Viens manger chez nous… !" Et dans ma tête, je leurs réponds : "Je voudrais bien… mais je ne peux point… ! Help me ! Help me !"

Nous rentrons alors dans ce lieu maudit de la non-gastronomie. Dans l’enceinte de cet endroit, un silence de mort tombe sur la salle. Les clients me lancent des jets de flammes avec leurs yeux, comme si je débarquais de la planète "Autarcie" Il faut dire aussi qu’avec ma tenue de soirée, mes talons aiguille et ma pochette vernie, parmi les joggings, baskets, casquettes… alouettes… je me démarque un peu… si seulement je pouvais l’attraper cette ligne de démarcation… Même les employés de service, tout au bout de cette longue allée, me faisant face, ont la bouche grande ouverte, de la même manière que si une star hollywoodienne venait d’atterrir dans un tel endroit. Devenant alors aussi rouge que le gril sur lequel cuit les steaks hachés, je baisse les yeux et sans demander l’avis à mon rendez-vous, je m’empresse à prendre place à une table bien cachée dans un coin sombre de la pièce derrière un ficus en plastique.

Je me sens vraiment mal et n’ai qu’une seule hâte, c’est de vite avaler n’importe quoi et quitter ce lieu. Mon rendez-vous m’ayant rejoint rapidement sollicite de ma part mon lever fessier de la chaise sur laquelle je suis rivée afin d’aller commander au comptoir le menu. Me revêtant alors du masque de la femme fragile et délicate, avec toute la plus grande douceur dans la voix, je lui donne l’excuse d’avoir mal aux pieds avec mes nouvelles chaussures et lui demande gentiment de me prendre une salade, n’importe laquelle. S’exécutant, je pense : "Il hors de question que je me lève, mes nouvelles chaussures, cela fait trois ans que je les ai, et la seule occasion qui me fera quitter cette chaise sera celle pour aller vers la sortie, même si j’ai envie d’aller aux toilettes, tant pis, je me retiendrais !"

Mon rendez-vous revient et pose sur la table quelque chose qui ressemble à un semblant de salade, toute huileuse, avec des bouts de, je ne sais pas trop quoi dessus et une odeur qui s’en dégage à en faire devenir anorexique le plus gros des mangeurs. Quant à son "plat", ne trouvant pas d’autre mot pour décrire ce que j’ai face à moi, ce sont des… croquettes brunes, noirâtres, recouvertes d’une sorte de panure, suantes, comme si elles avaient fait la traversée du désert sous soixante degrés en plein soleil, et accompagnées de frites, aussi fines que des aiguilles à coudre, dont elles, en revanche, sont d’une blancheur à faire pâlir un ours blanc polaire. Quelle horreur ! Ou ai-je donc atterri ?

Goûtant toutefois, ma pseudo salade, à peine la fourchette blanche en plastique dans la bouche, j’ai l’impression de tourner, sur l’île de la fameuse télé-réalité, l’épreuve des gros vers blancs. Et je vois mon rendez-vous enfourner l'une de ses croquettes et mâcher avec difficulté, en me faisant un signe de tête, puis avalant celle-ci, la bouche libérée de cette espèce de boule, me dire : "Hum ! C’est bon !" Et à moi de penser : "Si tu le dis ! Tant mieux pour toi ! Tu l’as voulue ! Tu l’as eue ! Mais, surtout sans moi !" Mais, là ! Maudite, comme je peux l’être, mon rendez-vous me tend l’une de ses abominables croquettes pour la goûter. Bien élevée, je goûte… Tout en mastiquant cette chose, je me dis qu’après ce supplice, d’accord ou pas, dès mon enfer fini, je me précipite dans le premier pub croisé sur ma route pour me prendre un bon "Irish coffee" afin de me faire passer l’infâme goût que j’ai en ce moment dans la bouche, mais aussi pour désinfecter mes gencives qui sont mises à rude épreuve par la dureté et le sec, à faire étouffer un chrétien. Et surtout, je prie pour que mes dents tiennent le coup. Je n’ai tout de même plus vingt ans. Certes, je n’ai que quarante ans, cependant j’ai une pensée pour les anciens et je compatis avec mes aïeux, avec un dentier, mission impossible !

Enfin, je parviens à avaler et là en mon for intérieur, je pense très fort que, finalement, la restauration rapide offre une nouvelle perspective d’avenir pour nous tous en cas de nouveau conflit mondial. Plus besoin d’armes chimiques ou autres. Il suffit de récupérer ces croquettes panées et frites de viande ou de poulet, dures comme de la pierre, pour remplacer les balles. Un lancer sur un bonhomme, un mort ! Un lancer sur un mur, plus de mur !

Un point en plus pour l’économie de budget militaire, un point en moins pour la gastronomie !

La torture se termine. Nous quittons l’endroit. Mon rendez-vous part de son côté et moi, comme prévu, j’entre dans l'un des pubs installés autour de cette magnifique place illuminée dans la nuit et savoure mon "Irish coffee"

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