Chine : "La Ceinture et la Route"


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Le 14 et 15 mai dernier, 29 chefs d’États et de Gouvernements ont participé au Sommet de coopération internationale "La Ceinture et la Route" à Pékin organisé par le Président chinois Xi Jinping. Ce vaste projet consiste à ouvrir de nouveau les anciennes "routes de la soie" empruntées par les caravaniers du IIe siècle avant J.C. au XVe siècle après J.C. Par ce nouvel aménagement, la Chine souhaite redessiner le paysage géopolitique mondial et ainsi marquer son empreinte dans la mondialisation sans frontières en désenclavant une partie de son territoire.

Michel Foucher, géographe, ancien ambassadeur et directeur du CAPS (Centre d'analyse, de prévision et de stratégie) du ministère des Affaires étrangères, titulaire de la chaire de géopolitique appliquée au Collège d'études mondiales de Paris, a apporté son analyse sur cet immense dessein aux sérieuses conséquences politiques et stratégiques.

Le Président chinois en a fait sa priorité diplomatique depuis 4 ans. Baptisé Yidai, Yilu, en chinois, One Belt, One Road (OBOR), en anglais, ce chantier implique plus de 60 pays en vue d'une nouvelle géoéconomie terrestre et maritime. En rouvrant tout en modifiant ces anciennes routes commerciales, la Chine veut d'une part retracer ces lignes terrestres, des convois de marchandises qui pourront se rendre par voies ferroviaires directement à Londres (Angleterre), Duisburg (Allemagne), Lyon (France), Madrid (Espagne), Belgrade (Serbie), Budapest (Hongrie), Varsovie (Pologne), ou voire encore jusqu'à Téhéran (Iran). Et d'autre part, réhabiliter ces voies maritimes qui n'étaient pas à l'origine des couloirs consacrés au commerce.

Le mot clé du projet est "connectivité" et il est déjà en marche en avançant même à très grande vitesse.

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Les routes terrestres

Concernant les routes terrestres réaménagées, en exemple, un train de marchandises en provenance de Yiwu (ville-district de la province du Zhejiang en Chine) est ainsi arrivé directement à la gare de Barking à Londres le 1er janvier 2017 après 19 jours de voyage  et un autre dans le sens inverse le 29 avril 2017.

Or la Chine rencontre un problème, celui d'intégrer à son marché intérieur ses provinces de l'Ouest (Xinjiang, Tibet, Yunnan) en les faisant bénéficier de débouchés commerciaux. Pour ce faire, elle veut réduire les distances et par conséquent le temps sur le continent eurasiatique en permettant la circulation des trains entre le marché chinois et européen. La Chine étant en surcapacité de production dans de nombreux domaines, notamment l'acier, le matériel ferroviaire, etc., elle veut exporter ses biens industriels. La Banque mondiale évalue d'ailleurs cet excédent à 10 % du PNB. En exemple, le dernier train pour Duisburg (premier port fluvial d'Allemagne) était un convoi de 700 m de long parti de la province du Sichuan (Chine) comptant 50 conteneurs chargés de produits électroniques assemblés en Chine par Hewlett Packard, Acer et Foxconn, un sous-traitant d’Apple.

Cette idée d'utiliser le marché terrestre est venue de deux constatations. Près de 95 % du fret en provenance d’Asie et en direction de l’Europe sont transportés actuellement par voie maritime, laissant donc la place au transport terrestre mais sous deux conditions, baisser les prix et augmenter la vitesse. La seconde observation est du fait des industriels européens et américains produisant en Chine en voulant exploiter des voies ferroviaires plus rapides et plus sûres que les voies maritimes. Pékin a su alors habilement répondre à ces deux lacunes en introduisant rapidement cette idée de la remise en fonction de ces vieilles "routes de la soie" terrestres, initialement suivies par les caravanes de chameaux partant de Xi'an (capitale de la province du Shaanxi) qui contournaient par le nord ou le sud les déserts du Xinjiang (Taklamakan, région autonome ouïgoure du Xinjiang, désert surnommé "Mer de la mort", et Gobi, vaste région désertique comprise entre le nord de la Chine et le sud de la Mongolie qui englobe près d'un tiers la surface de la Mongolie) et allaient commercer vers l'Orient proche, l'Empire ottoman, l'Empire perse, Venise ainsi que le monde méditerranéen.

Aujourd'hui, des compagnies ferroviaires assurent déjà ces trajets, notamment la Trans Eurasia Logistics, une entreprise allemande qui collabore avec la Deutsche Bahn, la RDZ russe et la Temir Scholy au Kazakhstan. Quant à la France, la SNCF n'appréhende pas l'intérêt de ce projet, étant donné que pour le moment le pays n'a rien à mettre dans ses trains en direction de Chine, d'où un lourd déséquilibre commercial qui en découle.

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Les routes maritimes

La Chine veut dès lors s'affirmer aussi en tant que nouvelle puissance maritime.

Bien que les Chinois se targuent d'évoquer l'Amiral Zheng He (1371-1433), les routes de la soie maritimes n'ont jamais existé. Il a conduit 12 expéditions caractérisées de nos jours de "missions d'évaluation de la menace". Il n'a donc jamais commercé. Ayant établi que la Chine à l'époque était en sécurité, les autorités avaient décidé de brûler l'ensemble de leur flotte et de refermer le pays sur lui-même.

Ce n'est que très récemment que la Chine a pris conscience qu'elle pouvait devenir une puissance maritime. Elle mène alors une politique dite la "politique du collier de perles", s'apparentant à la stratégie de la "route des Indes" conduite par les Britanniques au XIXe siècle avec leurs célèbres comptoirs maritimes de Gibraltar, Malte, Chypre, Alexandrie, Suez, Aden, Bombay, Colombo, Singapour ou encore Hong Kong. Les Chinois se sont juste contentés d'inverser le parcours. D'ailleurs en mer de Chine, ils sont en train d'aménager un grand port au sud du Sri Lanka ainsi qu'aux Maldives, à Suez et ont prévu la location longue du port de conteneurs du Pirée en Grèce. Il est à noter que 58 % des 50 premiers ports mondiaux de conteneurs appartiennent à la Chine.

Malgré le débat en Chine qui a lieu actuellement sur cette dimension de Terre et de Mer ; le huitième Livre Blanc de la défense insiste sur cette notion, la marine chinoise s'installe à Djibouti, ce qui inquiète fortement les États-Unis.

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L'intérêt réel de ces routes commerciales

Ce bénéfice est considérable d'un point de vue général, mais également et surtout dans le domaine du digital. Les Chinois s'intéressent de très près au vaste marché du digital de l'Union Européenne et veulent s'y connecter en raison de leurs intérêts conséquents dans ce secteur. Ils souhaitent en réalité s'affranchir du monopole occidental sur les câbles optiques sous-marins pour court-circuiter les réseaux américains et créer ainsi un grand marché informatique transcontinental avec des fleurons chinois, dont Huawei et China Mobile.

Hormis la Chine, aucun pays dans le monde n'est en mesure de proposer un projet d'une telle ampleur. Seules les entreprises du GAFA, regroupant Google, Amazon, Facebook et Apple, en Californie possèdent une telle offre de mondialisation, or il s'agit d'entreprises privées non d’États. Mais aussi, la Chine profite de l'opportunité de la nouvelle stratégie diplomatique américaine qui laisse suggérer qu'elle s'extraie des affaires du monde afin de prendre la position du leadership et relier les deux pôles de l'Eurasie.

Le projet de "la Ceinture et la Route" couvre près d’1/4 du commerce mondial et touchera 63 % de la population mondiale. La Chine y a investi plus de 50 milliards $ et construit près de 56 zones économiques. 220 milliards € ont déjà été engagés en 2016 et 2017 pour construire 2 200 km de voies nouvelles dans l’Ouest ainsi qu'au Kazakhstan, au Tibet et au Népal. Elle finance en parallèle des lignes à grande vitesse en Europe centrale entre Belgrade et Budapest.

Réf. "L’Euro-Asie selon Pékin", revue Politique Étrangère, Ifri, 2017 et "la Bataille des cartes, analyse critique des visions du monde", Michel Foucher, éditions François Bourin.

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